Silence de la lettre
Nous sommes tous, en tant qu’êtres parlants, des funambules du langage.
Toujours en déséquilibre sur les mots — entre ce qui se dit et ce qui échappe.
Et si, à côté de la parole et de l’écriture, il fallait considérer une troisième dimension du langage : le silence ?
Non pas comme absence, mais comme matière vivante — un bord du vide qui soutient la parole.
C’est parfois là, dans la béance d’un mot manqué ou dans le retrait d’un dire, que quelque chose s’écrit :
non pas un message, mais une trace.
Une lettre issue du silence.
Jacques Lacan remarque que le langage ne peut affronter le zéro.
Le zéro, pur signifiant de l’absence, échappe à la structure du discours.
Et pourtant, il s’écrit — à condition qu’un acte en décide ainsi.
Le silence de la lettre serait cela : une écriture du rien.
Non pour combler le vide, mais pour en tracer les bords.
Un signe qui ne dit rien, mais qui fait exister l’impossible.
Dans la clinique, cette lettre apparaît dans le silence d’une séance :
dans ce mot retenu, dans la suspension d’un dire, dans le tremblement d’un regard.
Un silence plein — non mutique, mais habité.
Là où, selon Lacan, quelque chose cesse de ne pas s’écrire.
C’est le lieu du discours sans parole,
l’espace où la parole cède à la lettre,
et où le silence, loin d’être vide, devient acte.
Peut-être que le cri de Munch, plutôt que de rompre le silence, le révèle.
Il lui donne corps, comme un contour au Réel.
Car le silence n’est pas absence de son : il est la forme même de ce qui persiste quand tout s’effondre.
Alors, écrire — ou écouter — c’est peut-être cela :
laisser le silence de la lettre tracer, depuis le silence,
le contour fragile de notre humanité parlante.