Décider sans garantie
À mesure que les entretiens avec les décideurs avancent, une ligne de fond apparaît plus clairement encore.
Dans les moments décisifs, ce qui rend la décision difficile n’est pas tant l’incertitude — elle est toujours là —
mais l’impossibilité d’obtenir une garantie.
Garantie que la décision sera la bonne.
Garantie qu’elle sera comprise.
Garantie qu’elle ne produira pas de pertes irréversibles.
Or, ces garanties n’existent pas.
Dans les contextes de gouvernance sensible, tout peut être analysé, modélisé, projeté.
Mais au moment de décider, quelque chose échappe toujours.
Un reste irréductible.
C’est précisément là que se joue l’acte.
Décider, alors, ne consiste plus à choisir la meilleure option disponible.
C’est accepter qu’une part de la décision ne soit pas sécurisable,
et consentir malgré tout à l’acte.
Dans les entretiens, certains disent :
« J’attends encore un élément de plus. »
« Si j’avais une certitude supplémentaire, je pourrais y aller. »
Mais cette certitude ne vient pas.
Car ce qui est en jeu n’est pas seulement stratégique.
C’est la place que l’on accepte d’occuper après la décision.
La manière dont on répondra de l’acte — devant les autres, mais aussi devant soi.
Décider sans garantie n’est ni une prise de risque inconsidérée,
ni un saut dans le vide.
C’est une décision qui assume qu’elle ne sera jamais totalement couverte.
À ce moment précis, la posture du décideur devient centrale.
Non comme une attitude psychologique,
mais comme une position tenue face à l’absence de garantie.
Ce n’est pas la certitude qui fonde l’acte.
C’est l’acceptation de ne pas en avoir.
Lorsque cette acceptation est possible, la décision devient tenable dans le temps.
Même si elle reste inconfortable.
Même si ses effets ne sont pas immédiatement lisibles.
C’est souvent à cet endroit que quelque chose se dénoue.
Non pas parce que tout est résolu,
mais parce que la décision est enfin assumée comme telle.
Décider sans garantie, c’est peut-être cela, au fond :
ne plus attendre que l’évidence confirme la décision,
mais accepter que la décision fasse advenir quelque chose.
— - Cet article fait partie d’une trilogie consacrée aux moments décisifs :
Quand décider ne suffit plus · Il n’y a rien de pire qu’une décision non prise · Décider sans garantie